Les Barcelonnettes au Mexique

Barcelonnette a été le creuset dʼun important mouvement migratoire vers le Mexique, débuté en 1805 et poursuivi jusquʼen 1955.

Un patrimoine architectural exceptionnel

Un trait caractérisait ces Ubayens partis aux Amériques : leur attachement à leur vallée natale. Les premiers entrepreneurs partaient en effet avec la volonté de revenir, fortune faite.

Surnommés « Mexicains » ou « Américains » par les locaux, ils construisent de retour du Mexique d'élégantes villas de style éclectique, art nouveau, et art déco, qu'on appellera, à tort, « villas mexicaines. ». Destinées à leur propre villégiature, les constructions n'ont pas les codes de l'architecture mexicaine ; elles évoquent directement les villas-châteaux des stations thermales ou balnéaires édifiées sur le sol français durant le 19e siècle. Ce sont les élévations-silhouettes de ces villas qui sont le plus intéressantes avec leurs toitures complexes, leurs vérandas en ferronnerie ouvragée, leurs vitraux. L'une des plus spectaculaires est le château des Magnans, à Jausiers. Achevé en 1913, l'édifice, de style néo-gothique offre des tours couronnées de merlons et clochetons, des baies géminées et un imposant soubassement, rappelant ainsi les châteaux de Louis II de Bavière.

Étalée entre 1870 et 1930, la construction des villas regroupe une cinquantaine d'édifices à Barcelonnette et une vingtaine à Jausiers. Ces décennies de construction ont permis à des artisans, notamment piémontais et suisses de travailler sur ces chantiers (marbriers, tailleurs de pierre, peintres, etc.)

L'entre-deux-guerres marque un net ralentissement des constructions de villas. Une seule villa se distingue par ses proportions et son langage décoratif. Édifiée en 1930, l'imposante villa Bleue développe un programme architectural ambitieux autour d'un vaste hall central éclairé par un vitrail monumental dont l'iconographie évoque la réussite du commanditaire dans l'industrie textile.

Comme le château des Magnans, la villa Bleue est inscrite à l'Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques et labellisée Patrimoine XXe siècle.

Il est impossible d'évoquer l'édification des villas de Barcelonnette et Jausiers sans mentionner celle des tombes monumentales construites dans ces mêmes années, parfois en même temps que la villa. Tous les cimetières de la Vallée témoignent de la richesse du patrimoine funéraire ubayen : chapelles verticales ouvertes ou fermées, avec une accumulation d'éléments décoratifs, des matériaux qui associent la pierre marbrière, la fonte, ou des vitraux. De nombreux immigrants italiens en provenance de Barge tailleurs de pierre et marbriers, s'installeront en Ubaye pour répondre à cette commande exceptionnelle.

De l'Ubaye aux Amériques

De nombreux ubayens sont des marchands colporteurs qui achètent et vendent du drap, dans les grands centres urbains français mais également en Italie et dans les Flandres. Avec la révolution industrielle, les besoins se modifient : les boutiques se sédentarisent et le métier de colporteur disparait peu à peu. Les entrepreneurs ubayens doivent alors trouver d'autres débouchés et vont créer un réseau de marchands aux Amériques.

Les premiers Barcelonnettes s'établissent en Louisiane au tout début du XIXe siècle. On y parle français, le territoire est agricole et offre de nouvelles possibilités pour les entrepreneurs ubayens. Si de premiers départs se font à la fin du XVIIIe siècle, ce sont bien les trois frères Arnaud, originaires de Jausiers, qui vont s'installer en Louisiane en 1805 et initier le mouvement migratoire des ubayens vers la Louisiane. D'autres fratries les suivront, et ils seront au total une cinquantaine d'Ubayens à s'établir en Louisiane.

Installés en Louisiane, les Ubayens seront d'abord marchands-colporteurs à pied le long du Mississipi, avant d'ouvrir des boutiques, le long du grand fleuve. Ceux qui réussissent le mieux vont investir dans des domaines agricoles (canne à sucre, café, coton, tabac) et deviennent commerçants planteurs avec des exploitations de plusieurs centaines d'hectares. On compte parmi eux des banquiers et des hommes politiques.

Contrairement aux migrations vers le Mexique, les retours en Ubaye seront exceptionnels : les émigrants de l'Ubaye qui s'installent en Louisiane y font souche et s'y installent souvent définitivement.

L'épopée « mexicaine » de l'Ubaye

Après avoir longtemps hésité entre la Louisiane et le Mexique qui partagent une frontière commune (le Texas), les entrepreneurs de la Vallée de l'Ubaye vont choisir le Mexique pour s'implanter, profitant pleinement de l'Indépendance du Mexique enfin libéré du joug espagnol.

Les premiers Ubayens qui s'installent au Mexique dans la première moitié du XIXe siècle appartiennent à l'élite de la société ubayenne : ils y sont banquiers, marchands, entrepreneurs. Ils maitrisent le commerce et l'économie et vont faire au Mexique ce qu'ils ont toujours pratiqué : la production et le commerce du textile. Les « Barcelonnettes » s'implantent dans les grandes villes mexicaines et s'emparent peu à peu du commerce de gros, rachetant ou créant des fabriques textiles.

Les premiers retours au pays se font dans les années 1850 : les migrants entrepreneurs y racontent le potentiel entrepreneurial du Mexique, ce qui donne envie aux jeunes générations de la Vallée - parfois moins aisées - de partir.

Sous la présidence de Porfirio Diaz (1877-1910), qui mène une politique favorable aux entrepreneurs étrangers, les Barcelonnettes sont à la tête de grands magasins de nouveautés dont les enseignes prestigieuses existent encore aujourd'hui (Palacio de Hierro, Liverpool, Fabricas de Francia…) et des principales fabriques textiles du pays. À l'aube de la première guerre mondiale, la communauté barcelonnette au Mexique est ainsi au premier rang de la banque, du commerce et de l'industrie.

Sur les premières vagues de départs, les Ubayens partent entre 15 et 20 ans, avec l'objectif de rentrer au Pays, une fois fortune faite pour se marier et poursuivre leur vie en France. Puis, peu à peu les Ubayens choisiront d'épouser des mexicaines, ou des européennes migrantes et les retours au Pays seront de plus en plus rares.

Sur 150 ans, près de 2500 Ubayens quittent leur vallée pour rejoindre le Mexique. Au début du XIXe siècle, la vallée compte 18 000 habitants (aujourd'hui 7000). Le nombre des descendants Barcelonnettes implantés au Mexique est estimé entre 20 000 et 50 000, dépassant très largement le nombre d'habitants dans la Vallée de l'Ubaye. Dispersés sur l'ensemble du territoire, ils sont aujourd'hui parfaitement intégrés à la société mexicaine contemporaine. Quelques familles prolongent le rêve mexicain des premiers Barcelonnettes et poursuivent dans le commerce, à la tête du Liverpool, enseigne commerciale fondée en 1847 et dont le rayonnement et la vitalité demeurent exceptionnels. L'enseigne a fêté ses 170 ans en 2017.

Barcelonnette la mexicaine

Barcelonnette, ville des Alpes-de-Haute-Provence, se targue d'être la terre la plus mexicaine de France.

Les habitants de la ville ont émigré en masse vers le Mexique au XIXe siècle. Certains sont revenus enrichis et ont fait construire de pittoresques villas, bien différentes de l'architecture alpine.

Et en effet, des liens anciens unissent Barcelonnette et le Mexique. Ils sont tangibles dans l'architecture des maisons, mais aussi des tombeaux. Et dans un musée qui relate cette histoire singulière.

Les Barcelonnettes

Au XIXe siècle, près de 3 000 habitants de Barcelonnette, et plus largement de la vallée de l'Ubaye, partent chercher fortune en Amérique. Les premiers s'installent en Louisiane. Mais la plupart poursuivent jusqu'au Mexique.

On les appelle les Barcelonnettes : un nom générique donné aux migrants originaires de la vallée de l'Ubaye.

Les nouveaux notables du Mexique

Après une période d'installation, les Barcelonnettes s'imposent comme les nouveaux notables du Mexique. On les retrouve dans le négoce, l'industrie textile, la banque, les mines…

Dans les villes, de grands magasins sont bâtis sur le modèle français. Deux enseignes plus que centenaires, fondées par des Barcelonnettes, perdurent d'ailleurs au Mexique. Et comptent toujours parmi les principales du pays : Palacio de hierro et Liverpool.

À la fin du XIXe siècle, ceux qui ont réussi sont à la tête d'un grand patrimoine industriel et commercial.

Des villas-châteaux fantaisistes

Mais certains de ces migrants enrichis ont le mal du pays. Ils reviennent donc dans la vallée de l'Ubaye, et font construire des villas-châteaux destinées à montrer leur réussite. Et effectivement, elles ne passent pas inaperçues !

Leurs propriétaires les ont voulues fantaisistes et pittoresques, parfois très colorées. Modifiant ainsi profondément l'urbanisme et le paysage alpin. Surprenantes par leur taille, leurs décorations et leur concentration, elles sont environ 80 entre Barcelonnette et Jausiers.

Aujourd'hui, ces villas font partie de l'identité de Barcelonnette, qui revendique haut et fort ses liens privilégiés avec le Mexique.

Des tombes monumentales

Les Barcelonnettes revenus au pays apportent aussi une attention particulière à leur dernière demeure. Ils font bâtir des tombes monumentales, faisant appel à des marbriers et des sculpteurs. Pierre blanche, marbre, colonnes et vitraux habillent les tombes, les chapelles et les mausolées.

De nos jours, tous les cimetières de la vallée sont de véritables musées lapidaires à ciel ouvert.

Un musée dans une villa mexicaine

À Barcelonnette, le musée de la Vallée évoque l'histoire de ces audacieux émigrés. Il est installé dans une villa mexicaine. La seule que l'on puisse visiter, car les autres sont privées.

Appartenant à la commune de Barcelonnette, cette villa a conservé intacts son porche à colonnes doriques, son décor de boiseries, ses parquets en marqueterie et sa cage d'escalier en noyer. Elle expose des objets que les migrants ont rapportés du Mexique. Un beau métissage de culture, caractéristique de cette vallée encaissée mais ouverte sur le monde.

Les villas mexicaines ou une réussite affichée

De l'extérieur, on les devine à peine, énigmatiques, enfouies dans leur manteau de verdure. Pourtant, quelques indices sont là pour indiquer leur présence : un nom de consonance mexicaine, une allée majestueuse plantée de marronniers... Ni sombrero ni pyramide à l'horizon, mais nous sommes bien devant une de ces villas mexicaines érigées au XIXe ou XXe siècle dans la vallée de l'Ubaye.

Des tropiques au cœur des Alpes du Sud, il n'y a qu'une page à tourner

L'histoire commune entre Barcelonnette et le Mexique débute au XIXe siècle, alors que de nombreux habitants de la vallée, et notamment des villages de Barcelonnette et de Jausiers, émigrent au Mexique. Contrairement à ce que l'on pense souvent, elle a beau être isolée, la vallée de l'Ubaye n'est pas un territoire fermé. Si elle est cernée de hautes crêtes, ses pentes accueillent de vastes pâturages, et, depuis longtemps, ses habitants transforment la laine de leurs moutons en draps et en tissus. Très tôt, le long hiver les pousse sur les routes pour écouler leur production. Dès le XVIIe siècle, ils partent vendre leur tissus en Provence, en Bourgogne ou dans les Flandres.

Au milieu du XIXe siècle, à la recherche de nouveaux débouchés, ils tentent leur chance aux Amériques. De l'autre côté de l'Atlantique, la proclamation de l'indépendance du Mexique, en 1821, met fin à trois siècles de domination espagnole. Ce pays d'Amérique latine devient un pôle d'attraction. Banquiers, commerçants et notables sont les premiers à partir pour ce Nouveau Monde - non pas une immigration pauvre mais une immigration d'entrepreneurs.

Les pionniers, les trois frères Arnaud, partent vers 1820. Ils sont originaires de Jausiers. Aucun d'eux ne rentrera en France. Ils ouvrent un magasin de tissus au coeur de Mexico, suivis d'autres aventuriers, qui créent les structures pour accueillir les prochains arrivants. En 1845, deux d'entre eux, Eugène Caire et Alphonse Jauffred, reviennent avec 400 000 francs, une fortune énorme pour le pays, qui hanta dès lors toutes les imaginations.

L'effet boule de neige

Le nombre de départs augmente jusqu'aux années 1950. Sous la présidence de Porfirio Díaz, qui gouverne le Mexique en maître absolu de 1876 à 1880 et de 1884 à 1911, la période est bénie ; l'investissement étranger, facilité. À Barcelonnette, une rue porte d'ailleurs le nom de l'ancien président mexicain. D'autres Français vont tenter l'aventure, des Basques, des Pyrénéens, tous surnommés « Barcelonnettes ». Dans la vallée de l'Ubaye, on estime qu'environ 2 500 hommes sont partis et que toutes les familles ont un proche émigré.

Au Mexique, le commerce se développe. En 1846, on y recense 46 magasins ; quarante ans plus tard, plus du double. Dans ces boutiques dites « de nouveautés », les Français vendent des tissus employés à la confection de vêtements, de linge de corps, de maison... En 1891, El Palacio de hierro (« le Palais de fer ») ouvre ses portes à Mexico, avec ses lignes métalliques inspirées de celles du Bon Marché ou de la Samaritaine. D'autres du même style suivront. Mais les Barcelonnettes ne s'arrêtent pas là. Avec le profit tiré du commerce, ils investissent dans la production. Au début du XXe siècle, ils sont à la tête non seulement des plus grands magasins, mais aussi de 70 % des usines de textile. Ainsi, la fabrique de Rio Blanco, qui appartient à des investisseurs de la vallée, est surnommée « la Manchester de l'Amérique latine ».

Si certains s'installent définitivement, d'autres reviennent au pays natal, où ils se font construire ces fameuses villas mexicaines, notamment entre 1890 et 1914. Nulle trace d'exotisme dans ces édifices, mais au contraire une volonté d'affirmer ses origines. L'ancien émigrant, devenu rentier, veut montrer sa réussite. Il se fait bâtir une élégante demeure au milieu d'un vaste parc et partage son temps entre la vallée, souvent Barcelonnette, et la Côte d'Azur en hiver.

Gothique, classique et autres influences...

Inutile de chercher une architecture commune à ces maisons - une cinquantaine à Barcelonnette, situées en périphérie de la ville médiévale, et une trentaine à Jausiers, à six kilomètres de là. Si elles se distinguent toutes par leur standing, une nouveauté dans la région, le style de ces belles résidences bourgeoises diffère selon les époques et les commanditaires. Souvent imaginées par des architectes locaux, elles mélangent les inspirations : anglaise avec leur bow-window, rococo à l'italienne ou Art nouveau dans les courbes de leur décoration.

À Barcelonnette, l'Ubayette, achevée en 1903 pour Henri Proal, ancien négociant à Mexico, affiche une allure sobre tout en pierres grises. À l'opposé, à Jausiers, le château des Magnans, construit par Louis Fortoul, dresse son imposante silhouette néogothique, pleine de fantaisie et de pastiches.

En face du château, perché à flanc de colline, le cimetière de Jausiers accueille la tombe monumentale de son commanditaire. Il était en effet de bon ton de s'offrir une dernière demeure aussi majestueuse que son habitation. Si les premières chapelles sont très classiques et en pierres blanches, les suivantes s'ornent de détails fantaisistes : des colonnes, du marbre pour un style néogothique ou néoclassique, comme le baldaquin à colonnes de Ferdinand Fortoul et son cénotaphe recouvert d'un drapé funéraire et posé sur quatre supports en patte de lion...

Mais ce sont aussi les intérieurs de ces villas qui valent le détour, avec leurs décors peints, leurs carreaux de ciment décorés, leurs vitraux Art nouveau et leur marqueterie. À Barcelonnette, avenue des Trois-Frères-Arnaud, la Rose des Alpes, imaginée par l'architecte grenoblois Francis Girard en 1903, appartient toujours à la famille Lions. À l'entrée du terrain, derrière le portail en fer forgé, une allée conduit à une terrasse encadrée de rosiers anciens. Tapisseries au pochoir, bow-window, cage d'escalier, rideaux et mobilier d'époque : l'aménagement est resté dans son état d'origine. À Jausiers, la villa Laugier, édifiée en 1892, se distingue aussi par son intérieur et son important décor peint, rénové en trompe-l'oeil par des artistes du Piémont, ses tentures et ses tapisseries d'origine.

De nos jours, beaucoup de familles sont dispersées des deux côtés de l'Atlantique. Il suffit de lire les chiffres pour comprendre cette situation singulière. Si l'Ubaye compte 7 500 habitants, on estime qu'au Mexique les descendants des Barcelonnettes seraient plus de 20 000.